Les grandes lignes historiques du Goûter…

Depuis la nuit des temps, un rituel particulier avait lieu au mois de mai : on célébrait les fêtes de la jeunesse, de l’agriculture, des récoltes, de la fertilité de la terre et des personnes. La tradition voulait que les jeunes garçons d’un hameau (lieu-dit peuplé de quelques habitations, ici à Ecaussinnes : Hubersart, la Follie, la Bassée, Maieurmont, Thiarmont, Restaumont, Waugenée, Noires-terres etc.) aillent durant la nuit du premier mai couper un arbre (un bouleau de préférence) et le planter, de nuit, dans le hameau afin que, le lendemain, les jeunes filles décorent l’arbre, organisent une fête et offrent aux jeunes gens un goûter (r’ciner en wallon).

Cette fête a des origines très anciennes, certaines sources font remonter cette tradition aux indo-européens (dont l’extension en Europe se déroule dès -4200 avant J-C).

Le peuple celte de nos régions a perpétué ensuite les célébrations de la jeunesse dans la fête de Beltaine, les druides allumaient des feux à travers lesquels devait passer le bétail pour leur assurer protection durant l’année. La fête se concluait par des danses autour de l’arbre de mai, propice aux rapprochements des couples. L’arbre était un élément sacré pour les Celtes, leur essence symbolisait différentes valeurs ; le bouleau incarne la jeune fille, la douceur et le mariage.
Au fur et à mesure du temps, les célébrations de l’arbre de mai vont évoluer selon les localités. En France, on plante un « mai » pour célébrer la victoire d’un élu politique ; à Bruxelles, on érige le Meyboom au mois d’août pour rappeler la victoire des Bruxellois sur les Louvanistes concernant la taxe de la bière (1213) ; à Silly, la plantation du mai est l’occasion d’une fête locale et retrouvailles amicales autour d’un verre.

Il n’y a plus qu’à Ecaussinnes que la plantation du mai s’accompagne, le lendemain, du goûter offert par les demoiselles afin de donner aux célibataires l’occasion de se rencontrer et, si affinités, de conclure à des mariages.

Cependant, cette jolie tradition a failli disparaitre de nos paysages.  Il est vrai, qu’à l’époque, le monde se lasse des traditions surannées et se tourne vers la grande époque du progrès : la révolution industrielle. On abandonne alors petit à petit la plantation du mai et le goûter. Le nombre de mariages à Ecaussinnes ne cesse alors de décroître au grand dam des Ecaussinnettes…

Marcel Tricot, jeune homme fringant de dix-neuf ans, héritier d’un savoir local et patrimonial légué par son grand-père instituteur et son père passionné d’histoire, décide alors de relancer, tout seul (avec l’aide d’un complice : Georges Wargnies) en 1903, la tradition du mai.
Marcel Tricot, Onésiphore de son beau prénom, était imprimeur. Il lui fut donc aisé de créer une affiche qu’il s’empressa d’aller placarder dans la commune d’Ecaussinnes et de l’envoyer à une dizaine de journaux. Qu’était-il inscrit sur cette affiche ?

Ecaussinnes-Lalaing – Place de la Bassée
À l’occasion du Mai planté en l’honneur de la Jeunesse
Lundi 1er Juin 1903 (Pentecôte)
À 4 heures
GOUTER MONSTRE
Offert par les soixante jeunes filles à marier du centre de la commune
Etant délaissées par un grand nombre de nos concitoyens, nous prions les jeunes gens
Des environs de bien vouloir participer audit goûter,
Et espérons avoir sous peu le plaisir d’assister à de nombreux mariages.
Les 60 jeunes filles à marier.
Plusieurs sont sur le point de coiffer Ste Catherine
NB : Bien retenir la date : 1er juin.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les Ecaussinnois n’étaient pas vraiment ravis de cette blague… Ils ne souhaitaient clairement pas (nous sommes en 1903) que les jeunes filles de la Commune invitent impudemment de jeunes garçons pour les « fréquenter ». Cela n’a pas refroidi l’ardeur de l’Ecaussinnette la plus célèbre du moment : Céline Lelièvre, première Présidente du Goûter matrimonial. Elle aurait, au cours d’une réunion de préparation du Goûter qui avait lieu dans son café de la Bassée, annoncé à Marcel Tricot que s’il relançait le Goûter, elle serait sa présidente ! En effet, la Présidente et les demoiselles d’honneur représentent les jeunes filles à marier d’Ecaussinnes. Marcel Tricot leur a attribué le joli nom d’Ecaussinnette. Les quolibets multiples de la presse et des villageois ont marqué le discours de la première Présidente.

En voici un extrait :

« Lorsque parurent dans les journaux les quelques lignes annonçant aux célibataires du monde civilisé nos intentions matrimoniales, beaucoup de braves gens, imbus de principes surannés, firent chorus avec les quelques vertus effarouchées et plus ou moins suspectes pour nous accabler de leurs sarcasmes.

Si nous n’avions pas été fortes dans notre résolution, si nous n’avions pas été toutes animées de l’ardent désir de faire la connaissance de ceux que nous voudrions pouvoir un jour aimer avec toute l’ardeur du sublime amour conjugal, nous aurions, sans doute, abandonné ce projet un peu hardi, nous le reconnaissons, mais capable de détruire ces déplorables préjugés condamnant la jeune fille à attendre patiemment sous l’orme, le prince charmant, qui le plus souvent, se fait attendre ou qui, pour comble de malheur, ne vient jamais.

Et pour plaire à ces bonnes gens, nous aurions probablement dû nous vouer au célibat éternel, sacrifier nos trésors de tendresse et remercier la Providence de nous avoir faites les victimes de ces convenances absurdes qui régissent l’humanité.

Devant le spectacle inoubliable qui se présente à nos yeux, il est permis de se rendre compte de la faute énorme que nous aurait fait commettre notre défaillance. Nous sommes heureuses et fières d’être les vulgarisatrices d’un système qui ne manquera pas d’être adopté bientôt partout et facilitera d’une façon sérieuse les rapports entre les personnes désireuses de se plonger dans les douceurs de l’hymen.

Vous n’êtes pas restés sourds à notre appel, Messieurs, parce que vous êtes convaincus que l’émancipation de la femme, ainsi comprise, est une chose excellente, que vous en bénéficierez au même titre que nous puisque les grands philosophes sont unanimes à proclamer que le bonheur réel ne réside que dans le mariage.

Vous venez de nous prouver que pour ceux qui ont du cœur, les distances ne sont rien; des quatre points cardinaux, vous êtes accourus en foule. Votre présence fait battre nos cœurs d’une divine allégresse. Nous vous en remercions tous et à tous, nous vous souhaitons la bienvenue. »

Discours écrit par…Marcel Tricot.

Le goûter matrimonial (baptisé comme tel par la presse en 1906) est donc déjà une évolution dans les mentalités car il émancipe la femme. Il faut rappeler qu’en 1900, le statut de la femme équivaut à celui d’un enfant : la femme sera toujours soumise à l’autorité d’un homme ; son père en tant que fille, son mari en tant que femme, son fils en tant que mère (il veillera à ses vieux jours). La femme est donc toujours sous tutelle. Revendiquer une liberté dans le mariage, quelle audace pour cette époque !

Les demoiselles d’Ecaussinnes sont donc les héritières du riche passé écaussinnois, pour l’heure encore peu connu par le monde (le Goûter avait une renommée mondiale dans les années ’20). Les Amis du Folklore travaillent non seulement à la perpétuation de ce patrimoine exceptionnel mais aussi à sa diffusion médiatique, qui, ils l’espèrent, prendra de plus en plus d’ampleur.

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